Conditions du millésime et premières impressions en Médoc – Antoine Médeville, Thomas Marquant et Emilien Delalande. Contrairement aux deux derniers millésimes, le début de la campagne 2022 a été marqué par un hiver plus frais et sec. Le déficit de précipitations est de presque 150 mm de septembre 2021 à février 2022 et se combine à de très bons ensoleillements.
Hormis les mois de décembre et juin, la période aura été plus sèche que la moyenne trentennale et pour une majorité avec plus de 40% de déficit. Le débourrement a pris place sur des bases assez classiques, autour du 25 mars en fonction des terroirs.
Le 1er avril 2022 est marqué par la première matinée de « gel ». Une vague de froid traverse la France et touche particulièrement la région de Bordeaux avec des températures très fraîches au coeur des plus grands terroirs : -4°C sur les terrasses graveleuses les plus hautes de Pauillac. Chose rare, les températures ont été homogènes sur l’ensemble des terroirs médocains impactant ainsi plus fortement les parcelles précoces les plus avancées. La Gironde, qui habituellement tempère les gelées en bord d’estuaire, ne semble pas avoir eu ce rôle cette fois-ci. Heureusement, les dégâts ont finalement été assez limités compte tenu de la précocité de l’évènement.
Le mois de mai a été très sec, -76% de précipitations, chaud, +3.2°C et 33% plus ensoleillé par rapport à la moyenne trentennale. Les conditions climatiques de ce mois de mai expliquent en grande partie la pousse très rapide de la vigne et la floraison précoce malgré une date de débourrement classique. Ce mois arrive après mars et avril déjà relativement secs et chauds. La floraison a débuté précocement à partir du 20 mai dans le Médoc et s’est déroulé très rapidement sous une météo clémente.
Juin a été historiquement chaud avec une grosse vague de chaleur, suivie d’une canicule (la semaine du 13 au 20 juin), et un record de température le 18 juin avec plus de 40°C. Cet épisode s’est conclu par de violents orages accompagnés de grêles mais « heureusement » très localisés : un couloir Sud Médoc sur le Taillan, le Pian et le Sud de Ludon. Un autre couloir, plus au Nord du Médoc, est parti de Cissac puis est remonté jusqu’à Saint Yzans de Médoc en passant par le Nord de Saint-Estèphe et la commune de Saint-Seurin de Cadourne. La zone la plus fortement touchée se situe du Nord de Saint-Seurin à la commune de Saint Yzans.
La campagne 2022 a globalement été chaude et sèche à l’exception du mois de juin qui a été chaud, humide et marqué par de forts orages. Au niveau de la pluviométrie, ce millésime est caractérisé par un important déficit de 250 mm depuis le mois d’octobre 2021.
Au vignoble, la pousse rapide de la vigne a demandé une grande réactivité des équipes, enchainant ainsi très rapidement les épamprages et les deux relevages. La pression sanitaire fût très limitée durant cette période.
La véraison a débuté très tôt sur les terroirs les plus précoces avec les premières baies autour du 15 juillet, mais le manque de précipitations couplé aux températures excessives l’ont rendu poussive et relativement longue. Elle ne s’est finalement achevée sur ces mêmes parcelles précoces qu’autour du 05 août avec une très forte progression lors des tous derniers jours de juillet.
Nous avons cru un instant que cette véraison relativement longue aurait pour conséquence de décaler d’autant la date de récolte, mais les températures caniculaires d’août ont accéléré la maturation des baies et amplifié les phénomènes de concentrations.
Dès le 20 août, les premiers contrôles de maturité sont venus confirmer le caractère de grande précocité du millésime 2022. Très rapidement les maturités technologiques étaient atteintes et les caractéristiques analytiques furent les suivantes : baies de petites tailles, TAVP relativement hauts, AT basses et surtout acides maliques très bas. Jamais les baies ne se sont goutées si bien si tôt du fait de leurs faibles AT et forts taux de sucres, mais attention cela n’était qu’un trompe l’oeil et la maturité phénolique n’était, à ce stade, pas encore atteinte. Par contre, aucune verdeur à l’horizon.
Les vendanges ont débuté précocement pour les blancs autour du 15 août et les premiers merlots ont suivi assez rapidement à partir du mardi 06 septembre. Certaines grappes sont même rentrées dans les cuves dès le 31 août : HISTORIQUE ! Les fortes chaleurs de la première quinzaine de septembre n’ont pas fait ralentir la cadence et rapidement les merlots étaient tous dans les chais.
Pour les terroirs les plus tardifs du Médoc ce fût avant le 25 septembre, encore une fois historique pour des terroirs où habituellement on débute à cette date. Les Cabernets suivront et les vendanges se sont terminés lors de la dernière semaine de septembre sur les terroirs précoces. Encore une fois, historique !
Quant aux terroirs dits tardifs du Médoc, les Cabernets Sauvignon ont été récoltés lors des dix premiers jours d’octobre, à un moment où dans ces zones on réfléchit habituellement au début des merlots. Encore une fois un millésime atypique de par la durée des vendanges, plus d’un mois et demi dans le Médoc.
2022 est de par sa grande précocité, d’ores et déjà, un millésime historique ! Mais également un millésime de décision et de choix dans la date de récolte qui ne fût pas simple pour certain compte tenu de la météo clémente.
D’un point de vue qualitatif, les équilibres sont en adéquation avec les contrôles de maturités, et les concentrations sont belles avec des couleurs sombres et d’un très bel éclat. La clé des vinifications fût l’extraction qu’il a fallu gérer au plus juste pour éviter une libération trop importante de tanins dont les raisins n’étaient pas dépourvus.
Au niveau quantitatif, les températures caniculaires des mois d’août et septembre auront eu raison des volumes qui seront en Médoc, là aussi, historiquement bas. Seuls les terroirs plus tardifs et pourvus d’une bonne proportion d’argile auront su tirer leur épingle du jeu pour amener à jolie maturité, une vendange plus importante.
2022 est un millésime chaleureux mais non dénué d’un bon équilibre acide, pour lequel la maîtrise des extractions est un enjeu capital. Les cuvaisons en cours et les choix d’élevage seront de grands alliés pour dompter au mieux ce fort potentiel.
Les Bordeaux Blancs par Edouard Massie: Démarré dès le retour du week-end du 15 août, le millésime 2022 en Bordeaux Blanc présente comme prévu les caractéristiques d’un millésime ensoleillé avec des thiols mûrs et beaucoup de volume en bouche. Les rendements en Sauvignon sont très faibles. Le millésime sera racé et de belle qualité.
Les Bordeaux Rouges par Edouard Massie: Après une maturité atypique marquée par de fortes chaleurs et un manque d’eau, le plus ancien des viticulteurs et le meilleur des oenologues ne pouvaient jusqu’à la veille des vendanges s’avancer quant à la qualité du millésime. En effet, des vignes déjà un peu défeuillées, des raisins difficiles à décrocher de la rafle, d’une dimension bien inférieure à la normale, une pellicule encore épaisse…
Mais après 48H de cuvaison, c’est la grande surprise, le grand soulagement et la certitude d’un grand millésime. Non seulement les tanins et les anthocyanes s’extraient tout seuls, mais la qualité est remarquable. Les tanins sont mûrs, soyeux et puissants. Les cuvaisons sont relativement courtes du fait de la facilité d’extraction. Les rendements sont bas, entre 40 et 50 Hl / Ha pour les Merlots et entre 30 et 40 Hl / Ha pour les Cabernets.
Les Graves Blancs par Henri Boyer : Ce millésime est un millésime surprenant qui nous laisse entrevoir des éléments de réponses pour les millésimes à venir avec le réchauffement climatique. C’est un millésime assez extrême en termes de chaleur et de sècheresse avec un impact important sur le rendement. Néanmoins cela a permis de mettre en lumière la résilience du vignoble sur la plupart des parcelles.
Pour les blancs, il a fallu démarrer les vendanges très tôt autour du 20 août pour les Sauvignons puis un peu plus tard pour les Sémillons. On aurait pu craindre un impact négatif des fortes chaleurs sur le potentiel aromatique et la fraicheur des vins blancs mais il n’en est rien.
Pour les vignerons qui ont vendangé en temps et en heure, les blancs ont gardé des teneurs en sucres modérées, ce qui a limité les teneurs finales en alcool. Les vins possèdent une belle palette aromatique avec beaucoup de volume en bouche. C’est un très beau millésime pour les sémillons qui se sont magnifiquement exprimés.
Les Graves rouges par Henri Boyer : En rouge aussi, la vigne a fait preuve de résilience. Les vignerons ont été surpris de voir le feuillage encore vert intense à la fin du mois d’août en pleine période de sécheresse. La cause vient probablement de la canicule précoce du mois de juin et de la quasi absence de maladie cryptogamique sur le feuillage.
La vigne a donc parfaitement alimentée ses raisins au point de ne pas observer de flétrissement des raisins, même durant les périodes chaudes et sèches de la fin de maturation des Merlots. Cela a permis d’attendre plus longtemps qu’imaginer la maturation parfaite des tanins sans pour autant avoir des taux de sucres excessifs.
Les résultats sont surprenants : des vins fruités, amples et concentrés mais sans lourdeur grâce à un bel équilibre apporté par une acidité inattendue. Le tanin est mûr, fin, dense et velouté. Nul doute un grand Millésime. Seul bémol, un volume de récolte beaucoup plus faible qu’attendu.
La Rive droite par Arnaud Chambolle et Mathieu Juteau :
Sur la Rive-Droite, la récolte des cépages blancs a démarré à la mi-août pour l’élaboration des crémants et s’est terminée à la fin du mois pour les vins blancs. Dans les chais, les premiers jus ont vite montré une sensibilité à l’oxydation. Pour les viticulteurs qui ont su les protéger, les résultats sont prometteurs avec des vins blancs très élégants. Il en est de même pour les rosés. Cependant, les volumes sont faibles comme on pouvait s’y attendre avec des poids de baies particulièrement bas. Ce fut également le cas pour les rouges.
Pour les cépages rouges, dans des conditions extrêmes de sécheresse, Pomerol et Saint-Emilion avaient obtenu l’autorisation d’irriguer. C’est principalement sur ces deux appellations et avec les jeunes plants que les vendanges ont démarré précocement début septembre. Elles se sont ensuite étalées en donnant la priorité aux parcelles souffrant le plus de la sécheresse. Rarement la pluie a été autant attendue. Mais la vigne est résiliente : il faut lui reconnaître une capacité d’adaptation surprenante, notamment pour le merlot que l’on pensait peu apte à supporter le réchauffement climatique. Sans doute alertée dès le mois de juin par cette tendance à la sécheresse, la vigne s’était préparée. Les derniers merlots furent ramassés fin septembre après un épisode pluvieux et les cabernets francs puis sauvignon ont suivi avant le 10 octobre.
Dans l’ensemble, les rendements sont plutôt faibles et très hétérogènes avec de bonnes surprises sur les terroirs les plus humides. Mais de nombreux viticulteurs avaient été touchés par les épisodes de gel en avril et de grêle en juin.
C’est en revanche très homogène sur le plan qualitatif. Avec des rapports marc/jus élevés, il fallait extraire sans tomber dans le piège de la sur-extraction. Le millésime 2022 s’annonce délicieux et gourmand avec des vins colorés, structurés et fruités. Il est très prometteur.